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Des morts par centaines de milliers en Ukraine, presque 30.000 femmes, hommes, enfants tués depuis le début de l’assaut à Gaza, martyrisée. Et d’innombrables victimes de guerre oubliées, au Yémen, au Soudan et ailleurs. Tuer est-il devenu une activité ordinaire ?

« Tu ne tueras point ». La bible est formelle, tuer est un péché. Du point de vue de la loi, l’homicide constitue un crime puni d’une peine privative de liberté. Tuer un être humain est un interdit moral et légal qui semble pouvoir se passer de justification. Pas tout à fait.

D’un point de vue pratique, l’interdiction de tuer s’explique très simplement : Dans un monde où éliminer un individu gênant ou peu apprécié est autorisé, chacun est soi-même une proie potentielle. Un état de nature hobbesien qui ne fait pas rêver…

D’un point de vue moral, et d’après Locke, l’acte de tuer est un mal car il constitue une violation du droit individuel fondamental à se conserver. Pour Kant, tuer s’apparente à une contradiction logique a priori, puisqu’un monde où tuer est autorisé est un monde qui s’auto-détruit. Locke et Kant auraient-ils imaginé les atrocités qui allaient se produire au 20ème siècle?

Les deux guerres mondiales représentent un choc tel qu’elles vont contribuer à entériner un principe théorisé par plusieurs philosophes : La sacralité de la vie humaine. Le principe de sacralité de la vie ne s’entend pas ici en termes religieux, mais laïques. « [La vie] n’est pas considérée comme sacrée parce qu’elle est la manifestation d’un Créateur transcendant à l’origine de la vie ; […] L’idée de la sacralité́ est engendrée par l’expérience primordiale d’être en vie, par les sensations élémentaires de la vitalité́ et par la peur élémentaire de son extinction » écrit le sociologue américain E. Shils en 1968. En quelque sorte, la sacralité de la vie est un fait primitif, c’est-à-dire non fondé sur un fait antécédent.

Tuer au nom de la sacralité

D’après une acceptation erronée, ce principe ne consacre pas tant l’interdiction de tuer, que la disposition à préserver la vie humaine, quelles que soient les circonstances, quel qu’en soit le prix. La sacralité de la vie se traduit alors essentiellement par la lutte contre l’interruption volontaire de grossesse et l’euthanasie. Cette interprétation du principe de sacralité tend fâcheusement à se retourner contre la vie elle-même : Une vie humaine étant sacrée, sa suppression par autrui mérite la peine de mort…

Retour à notre actualité. La Russie de Poutine ne fait pas grand cas de la vie humaine. Qu’elle soit russe ou ukrainienne, la vie est fauchée sans état d’âme, froidement. L’acte de tuer, pour un ex-agent du KGB, se résume à une balle bien placée. Il n’y a pas de sacralité qui soit. Le cas de la bande de Gaza est tout autre. Les Israéliens de la droite dure font une interprétation de la sacralité de la vie à sens unique : La vie d’un Juif est certes sacrée, pas celle d’un Palestinien. Après avoir rasé le nord de Gaza et fait plus de 28000 victimes civiles, l’armée israélienne s’attaque à Rafah…

Isabelle Schönbächler

Isabelle Schönbächler est diplômée en Physique et Philosophie. Dans ses chroniques, elle mêle actualité et concepts philosophiques.

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