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La question « La science peut-elle satisfaire notre besoin de vérité ? » posée au bac de philo 2024 se compose de trois éléments : vérité, besoin, et satisfaction. Pour répondre à cette question, il est essentiel de les examiner ensemble, car ils se complètent et se renforcent mutuellement. En effet, la formulation, loin d’être neutre, semble indiquer une direction de sorte qu’une seule réponse s’impose : non, la science ne peut pas satisfaire notre besoin de vérité. La suite de ce texte, en s’attardant sur chacun de ces trois concepts, va démontrer pourquoi. 

D’un point de vue cartésien, une vérité est une description qui correspond exactement à la réalité. Copernic, qui défendit l’héliocentrisme, disait la vérité : la Terre tourne autour du soleil et non l’inverse. Jusqu’à preuve du contraire, sa théorie est une vérité car elle conforme aux lois naturelles indépendamment de notre perception. Une vérité est donc l’articulation d’une réalité objective. Ainsi, une tempête n’est ni le fruit de la colère de Zeus ni de celle Poséidon et les saignées ne soulagent pas de la fièvre au contraire du paracétamol (C8H9NO2). Ce n’est pas tout. La science est capable de répondre à une curiosité moins matérielle. Avec suffisamment de données et une intelligence artificielle évoluée, il est envisageable qu’un ordinateur puisse un jour décrire avec exactitude n’importe qui. La science sera à même de donner une réponse à l’éternelle question « qui suis-je ? ». Cependant, l’Homme a-t-il véritablement besoin de savoir comment les nuages d’orage « grattent » la foudre ? Et un ordinateur, même « super », peut-il vraiment satisfaire la quête de compréhension de soi ? En d’autres termes, l’enjeu est de savoir quelles vérités sont un besoin et quelles réponses y satisfont. 

                  En physique nucléaire, la science est en mesure d’expliquer les différentes lois qui la régissent. Quoique ces dernières soient sûrement intéressantes, ce n’est pas un besoin de comprendre la structure, les mécanismes et réactions nucléaires. Un besoin, au sens le plus profond, est une nécessité. Et c’est aussi ainsi qu’il faut comprendre la question d’origine. Ce n’est pas une nécessité de comprendre l’énergie nucléaire, mais de la curiosité. En revanche, c’en est une de savoir qu’en faire. Les vérités qui sont un besoin ne sont pas de la curiosité mais bien une nécessité. Ainsi, nos connaissances de l’énergie atomique peuvent être utilisées pour construire une centrale nucléaire fournissant des centaines de milliers de personnes en électricité, ou construire un arsenal de destruction massive. Bien que la science rende possible la construction des deux, elle ne favorise ni l’un ni l’autre car elle n’offre pas de hiérarchie de valeurs. C’est-à-dire qu’elle n’est pas normative mais, comme le démontre l’exemple suivant, objective et descriptive. Dans le meurtre d’Abel par Caïn, Darwin voit la loi du plus fort et le cours naturel des choses, tandis que la doctoresse reconnaît l’arrêt de l’organe musculaire qu’est le cœur ; l’Homme, en revanche, est repoussé par le meurtre fraternel. À l’inverse des Hommes, les sciences ne possèdent pas de conscience et n’ont pas d’autres fins que celles que lui donnent ceux-ci. Elles sont le moyen pour atteindre une fin. La science a fourni les caravelles à Christophe Colomb sans pour autant lui enjoindre de traverser l’Atlantique avec. 

                  Au quotidien, rares sont ceux qui doivent choisir entre bombe ou centrale nucléaire. Néanmoins, la vie est une succession de choix, c’est-à-dire de préférences de quelque chose à autre chose. Toute action est le résultat d’une décision justifiée par une intention passive ou active. Sans intention, pas d’action. Le soir, après une longue journée de travail, la personne qui décide de lire San-Antonio renonce dans le même temps à être sur Instagram, faire une balade, ou cuisiner un bon petit plat. Alors que la lecture favorise le vocabulaire et la concentration, un repas équilibré ou une promenade améliorent la santé physique et mentale, tandis que les réseaux sociaux… bref. Malgré tout, la science ne peut pas dire ce qu’il y a de mieux à faire, puisque ce « mieux » dépend des priorités et des objectifs de chacun. Qui plus est, ces derniers peuvent être dirigés vers un frère, une communauté, une nation et non vers le bonheur personnel puisque « bonheur » ne rime pas avec « bien ». Les valeurs sont humaines, pas scientifiques, et à la base de toutes décisions importantes. Dans la vie de tous les jours, elles sont une nécessité, pas de la simple curiosité.

                  Cependant, des valeurs et des lois morales peuvent-elles être des vérités au même titre que 2 + 2 = 4 ? La question est légitime. Si les mathématiques et autres sciences sont admises et donc vraies uniquement sous réserve de preuve, le domaine de l’éthique, lui, fonctionne sans. En morale, rien n’est démontrable et donc ni vrai ni faux aux yeux de la science. Est-ce pour autant que rien n’est vrai ? Possible. Toutefois, l’Homme, lors de grandes décisions ou devant un dilemme, a généralement juste besoin de croire que quelque chose est vrai pour agir. Est-il mieux de sacrifier dix hommes ou femmes pour sauver sa mère ? Chacun justifiera selon sa propre vérité, selon ses propres valeurs. Et celles-ci sont individuelles et forgées à travers la culture et l’histoire. Elles sont propres à chacun et chacune, car les notions de Bien et Mal, de juste et injuste ne sont pas universelles, mais des vérités personnelles. 

                  C’est bien souvent pour répondre aux besoins de vérités essentielles et existentielles que la science se trouve impuissante. Celle qui apprend d’un ordinateur qui elle est au plus profond d’elle-même (ses faiblesses, ses désirs, ses insécurités, et ses forces) est-elle pour autant satisfaite ? Privée de surprises et de découvertes, elle risque de se considérer comme un objet fini au potentiel totalement déployé. Perspective pas particulièrement satisfaisante. Dépossédée de son chemin, elle ne peut atteindre de sommet. Quel sommet ? Mark Twain a dit : « The two most important days in your life are the day you are born and the day you find out why”. À la question de la raison de sa propre existence, la science propose la thèse du hasard. C’est un hasard presque infini qui a conduit à l’existence de chaque femme et de chaque homme. Et quel est le but ? Comme expliqué précédemment, aux yeux de la science, il n’y en a pas puisqu’elle ne possède pas de hiérarchie de valeurs. Ces réponses, bien que possiblement vraies, ne peuvent satisfaire. Surtout quelqu’un qui souffre. C’est-à-dire tout le monde. Pourquoi souffre-je et pourquoi les autres souffrent-ils aussi ? C’est la question fondamentale à laquelle il faut absolument trouver une explication. Une explication plausible et logique. Une explication vraisemblable. Une explication vraie. Sinon, on tombe dans l’absurde, le nihilisme. Et il n’y a rien de glorieux là-dedans. Friedrich Nietzsche, dans son essai Humain, trop humain, soutient que « la science moderne a pour but aussi peu de douleur que possible ». Ainsi, la science tente de guérir les effets de la souffrance et de la douleur. Mais dans un monde ou la douleur est inévitable, parfois, trouver un « pourquoi » est plus puissant que l’anesthésie générale. C’est pourquoi le roman « un bonheur insupportable » nous paraît si faux. 

En d’autres termes, la science peut satisfaire notre curiosité, mais elle demeure désarmée face au besoin de vérités des Hommes. Soit elle ne parvient pas à y répondre, soit pas de manière satisfaisante. La science ne peut remplacer le cœur de l’Homme.

Pierre Schönbächler

Titulaire d'un Bachelor en Affaires Internationales de l'université de St. Gall, Pierre est un amoureux de la langue française, et admirateur de Victor Hugo

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