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Le film « Barbie » nous plonge dans un monde étonnant : À Barbie Land, toutes les femmes se prénomment Barbie, vivent dans une maison Barbie, et sont toutes, de fait, la personne « Barbie ». Mais comment comprendre que Barbie soit toutes ces femmes simultanément ?

C’est un principe qui remonte à loin, à la philosophie grecque antique, et qui a traversé les âges. C’est un principe aussi simple que mystérieux, un des piliers de la logique, mais aussi une porte d’entrée vers la métaphysique. C’est un principe qui s’énonce en trois lettres, ou en une formule limpide : « a=a », ou « Toute chose est ce qu’elle est »… C’est le principe « d’identité numérique ».

En logique, ce principe forme avec les principes de non-contradiction et de tiers exclu, la base de la pensée cohérente. Mais c’est en métaphysique qu’il prend toute sa portée. Que dit-il de la réalité ? A priori, rien de bien renversant : Toute chose est identique à elle-même. Par exemple, le vélo de Jean est identique à lui-même, le vélo de Paul est identique à lui-même etc. Le principe d’identité numérique pose ainsi une relation qui n’existe qu’entre une chose et elle-même, et en exclut toute autre. Cette relation strictement réflexive fait, en réalité, de toute chose une chose « numériquement distincte » de toutes les autres.

Cette forme d’identité est très contre-intuitive, à l’opposé de l’identité qualitative, bien plus simple à appréhender. Reprenons l’exemple des vélos de Jean et de Paul. Le vélo de Jean est peut-être ressemblant en tous points à celui de Paul : Tous deux sont du même rouge, ont la même selle, le même guidon etc : On dit qu’ils sont « identiques qualitativement », ou encore semblables. Pourtant, ils sont numériquement distincts. Là où l’identité numérique sépare les choses, l’identité qualitative les rapproche.

Identité et changement

Les choses se corsent avec la loi de Leibnitz. Cette loi énonce ce qui ressemble à une évidence : Si deux choses sont numériquement identiques, alors elles sont aussi qualitativement identiques. Évidemment : Si deux choses sont numériquement identiques, alors elles ne forment « qu’un ». Par exemple, si le vélo de Paul est numériquement identique au vélo de Jean, cela signifie que Paul et Jean se partagent un seul et même vélo. Et ce vélo a nécessairement la même couleur, la même selle, le même guidon que lui-même.

Bien. Mais une difficulté de taille surgit à ce point. Si le vélo de Paul et de Jean est rouge aujourd’hui, et repeint en bleu demain, comment comprendre qu’il reste numériquement identique à lui-même ? On touche ici du doigt le problème fascinant du changement dans l’identité : Comme suis-je la même personne chaque jour, tout en étant chaque jour différente ?

Le film « Barbie » déplace dans l’espace le problème de l’identité qui se pose dans le temps. Barbie est « une » et « multiple » à la fois. Bien sûr, il s’agit d’une fiction, et elle a le pouvoir de déformer la réalité. Dans le monde réel, Barbie est juste une poupée dont tous les exemplaires sont numériquement distincts et ressemblants.

Isabelle Schönbächler

Isabelle Schönbächler est diplômée en Physique et Philosophie. Dans ses chroniques, elle mêle actualité et concepts philosophiques.

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