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Israéliens et Palestiniens sauront-ils se pardonner mutuellement ? L’Ukraine pardonnera-t-elle à la Russie ? Le 6 février 2022, le Pape François déclarait, lors d’un entretien prémonitoire à la RAI, que le « pardon est un droit humain ». Oui, mais qu’est-ce que le pardon ?

Le pardon est une chose mystérieuse. Il peut être accordé ou refusé, tacite ou formulé, imploré ou repoussé, humiliant, libérateur, sincère ou compassé. Selon une acceptation psychologique du terme, le pardon est un geste personnel, destiné à se délivrer d’un ressentiment tenace envers son agresseur. L’interprétation biblique est sensiblement différente : Il s’agirait d’effacer le péché commis par son bourreau, dans un acte de pure miséricorde. Comment comprendre cette divergence de vue ?

Imaginez. Marie et Jean forment un couple apparemment uni. Marie travaille comme comptable, alors que Jean poursuit ses études de médecine. Comme Jean est sans ressources financières, Marie règle toutes les dépenses du couple, en attendant que son compagnon puisse assumer sa part. Le jour de sa remise de diplôme, Jean plie bagage et quitte la comptable : Elle comprend qu’elle n’a été qu’un moyen pour Jean de poursuivre ses buts. La blessure est cuisante et le ressentiment immense.

Les années passent, Marie reprend pied et retrouve un bonheur inespéré. Heureuse et épanouie, elle repense à Jean, sans colère ni animosité. Elle est apaisée. Jean, de son côté, est devenu médecin, mais il ressasse continuellement le souvenir de la souffrance infligée à Marie. Accablé, il se rend chez la jeune femme pour solliciter son pardon. Elle accepte, et il repart soulagé.

Ce récit fictif illustre toute la complexité du pardon. Une chose en particulier en ressort : Le pardon est un « acte », mais aussi un « état » et un « pouvoir ». Explication.

Les trois formes du pardon

Par sa trahison, Jean a blessé Marie, et induit, chez elle, une vive colère. Avec le temps, ce sentiment s’étiole jusqu’à disparaître. Marie est alors dans un « état » de pardon : Elle n’en veut plus à Jean, tout simplement. De son côté, Jean est tourmenté par le remords, sentiment puissant, dirigé essentiellement vers l’acte commis et la souffrance engendrée chez autrui. Jean souffre d’avoir fait du mal à Marie, qui, seule, détient le « pouvoir » de dissiper sa douleur. En le pardonnant par un « acte » verbal, elle le délivre de ses remords.

Ainsi, si X blesse Y, volontairement ou non, X confère à Y un « pouvoir » singulier : Le pardon, en tant qu’acte et en tant qu’état. Il appartient à Y, et à Y seulement, d’atteindre « l’état » de pardon intérieur par son propre cheminement, mais aussi d’effacer les remords de X par un « acte » verbal. L’acte de pardon est alors consubstantiel au remords, et n’a de sens que dans le cadre strict du remords du bourreau envers sa victime.

En tant qu’état, le pardon correspond à l’interprétation psychologique du pardon. En tant que pouvoir et acte, il s’apparente à sa compréhension biblique, avec une nuance toutefois : Le pardon est indissociable de l’expression sincère d’un remords.

Isabelle Schönbächler

Isabelle Schönbächler est diplômée en Physique et Philosophie. Dans ses chroniques, elle mêle actualité et concepts philosophiques.

2 Comments

  • Patrick Gonthier dit :

    Je vous remercie pour ce texte éclairant comme toujours. Il invite à revenir sur des réflexions qu’on pensait acquises.
    J’ai lu (trop vite, il me faudra y revenir) il y a peu le livre de Vladimir Jankelevitch sur « Le pardon ». J’ai apprécié ce qu’il écrivait sur l’impardonnable :  » Pardonner sans comprendre est à ce premier point de vue la seule façon de pardonner: car si on peut comprendre sans pardonner, on doit, à certains égards, pardonner l’impardonnable sans l’avoir compris ».

    • Isabelle dit :

      Merci Patrick pour votre question. Peut-on pardonner l’incompréhensible? Les tueries en Israël, la mort d’enfants innocents à Gaza, une guerre absurde en Ukraine? Comme je l’ai dit, la seule condition au pardon est le remords de l’autre. Mais cette condition est essentielle puisqu’il s’agit, par le pardon, d’effacer le remords. Je pense en effet que l’on peut pardonner ce que l’on ne comprend pas, du moment que l’autre souffre d’un remords sincère, non calculé, non feint. Peu importe la nature de son crime, peu importe notre propre souffrance, le remords douloureux de l’autre est une intense demande de pardon à laquelle on peut accéder.
      Il est bien clair que jamais Poutine ne sera pardonné pour ce qu’il a fait, dans la mesure où cet homme sans conscience ne connaît ni le remords, ni la culpabilité.
      Bien à vous.
      Isabelle

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