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23 août : l’avion du chef de la milice Wagner s’écrase. Clap de fin pour Prigojine, et éloge cynique de Poutine envers un « homme d’affaire » talentueux au « destin compliqué ». Un destin qui l’emporte opportunément, deux mois à peine après sa mutinerie… Vous y croyez, vous?

En premier lieu, il convient de distinguer le destin de la destinée. La destinée, s’entend comme la suite des évènements qui, mis bout à bout, forment une vie humaine ; Ces évènements obéissent à une force supérieure, le destin, ayant décidé d’une trajectoire de vie singulière, la destinée. Une destinée tragique, par exemple, est un parcours de vie au long duquel les circonstances concourent de façon troublante et systématique au malheur et/ou à la fin prématurée du sujet. Le destin est alors vu comme une puissance contre laquelle il est inutile de lutter.

Tout cela relève des sciences occultes, n’est-ce pas ? Pas tout à fait. En philosophie, le déterminisme est une théorie métaphysique postulant l’existence de « lois » gouvernant rigoureusement le cours du monde. Plus précisément, tout état du monde à un instant t est entièrement déterminé par son état à un instant antérieur t0 et par lesdites lois. Un état donné du monde évolue ainsi nécessairement vers un état donné ultérieur, et vers aucun autre, sous l’effet de la rigueur des lois. Comme ce passage d’un état au suivant se perpétue depuis l’origine du monde, il s’ensuit que l’état actuel du monde est entièrement et strictement défini par ses conditions initiales, sans échappatoire possible !

Le piège déterministe

Qu’est-ce à dire ? Si la guerre fait rage aujourd’hui en Ukraine, si votre café s’est renversé, si le voisin a encore mal garé sa voiture, tout cela est dû, selon la théorie déterministe, à l’enchaînement implacable des moindres évènements depuis la nuit des temps. Le déterminisme ne laisse aucune place au plus petit écart du cours des choses. Plus fort que le destin !

Si la théorie déterministe est vraie, alors il s’agit d’un coup très dur porté à notre liberté ! En effet, si chacune de nos actions est prise dans une chaîne de causalité dont elle ne peut s’échapper, s’il ne nous est pas permis d’initier une action qui ne soit pas déjà « programmée » par les lois de la nature, alors, rien de ce que nous faisons ne résulte d’un choix libre. Pire. La responsabilité disparaît avec la liberté, et plus aucune de nos fautes ou de nos crimes ne nous est imputable. C’est la fin de la morale et de l’humanité !

Que l’on se rassure : D’éminents philosophes tels que Roderick Chisholm ou Harry Frankfurt se sont employés à sauver notre liberté du piège déterministe.

Retour à nos deux protagonistes. En évoquant son « destin difficile », Poutine tente « subtilement » de présenter la mort « accidentelle » de son « boucher » comme une ultime infortune, cruelle et injuste, frappant ce malheureux. En réalité, sa mort était bien actée depuis le 23 juin, mais pas par des lois déterministes ; Par la seule volonté d’un homme dont la loi se résume à : Tu me gênes, je te tue. Faut-il en rire ou en pleurer ?

Isabelle Schönbächler

Isabelle Schönbächler est diplômée en Physique et Philosophie. Dans ses chroniques, elle mêle actualité et concepts philosophiques.

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