« Monsieur Poutine est un chef d’état dangereux parce qu’il est un chef d’état impliqué par la question de la paix et de la guerre. Il fait donc dans son domaine ce qu’il croit être son devoir… ». Extrait du discours de Jean-Luc Mélenchon du 16 mars 2024
En 1986, le philosophe américain H. Frankfurt publiait un essai ouvrant un tout nouveau champ d’investigation en épistémologie : « On Bullshit ». Quelques années plus tard, son très sérieux collègue G. Cohen, lui emboîtait le pas avec un article intitulé : « Deeeper into Bullshit ». Le débat sur le bullshit était lancé !
Avant ces publications, les disputes sur la vérité et le mensonge occupaient déjà bien les esprits. Mais le concept de bullshit a permis l’émergence d’une immense zone grise entre vérité et mensonge, entre véracité et fausseté. Alors qu’est-ce que le bullshit ? Philosophiquement parlant, le bullshit prend deux acceptations.
Dans un premier sens (Frankfurt), le bullshit est l’action de communiquer sans se préoccuper de la vérité, de sorte que le discours produit peut être vrai, faux, ou sans aucune valeur de vérité. En gros, le bullshit est l’action de dire n’importe quoi, par relâchement intellectuel ou par intérêt. Par exemple, un vendeur désireux de fourguer un produit dont il ignore la composition, peut tout autant affirmer qu’il est 100% naturel ou 100% chimique, ou encore concentré ou dilué, selon les circonstances. Du pur bullshit !
Dans un second sens (Cohen), le bullshit est un énoncé obscur, inintelligible, au point que sa négation est aussi plausible que sa forme positive. Illustration avec une citation twittée par le Dr Deepak Chopra : « La nature est un écosystème autorégulateur de la conscience ». Face à ce type de propos incompréhensible, la tentation est grande de rechercher un sens profond caché. Peut-être est-ce le but poursuivi par l’auteur ? Il n’en reste pas moins qu’il s’agit là de pur bullshit selon Cohen.
Le bullshit : Une volonté de tromper
Le bullshit est toujours une forme de tromperie, car son but n’est pas de communiquer le contenu d’un propos, ce qui est usuellement attendu d’un locuteur, mais d’utiliser le langage en vue d’autre chose que la transmission d’une pensée. Le bullshitteur berne son interlocuteur en ce qu’il ne joue pas le jeu de la communication, lequel consiste tout simplement à échanger de l’information.
Revenons aux propos de Monsieur Mélenchon. La première phrase citée est proprement inintelligible. Que signifie « être impliqué par la question de la paix et de la guerre » ? Rien. Et quel est le rapport avec la dangerosité d’un individu ? Aucun. Du bullshit à la Cohen. La seconde phrase est lâchée sans aucun souci de vérité : Monsieur Mélenchon a-t-il un accès privilégié aux croyances de Poutine et à sa conception du devoir ? Croit-il vraiment que Poutine se fait un devoir de dénazifier l’Ukraine ? Du bullshit à la Frankfurt.
Décidément, Monsieur Mélenchon, votre bla-bla a bien peu de chance de masquer vos positions passées ambigües, voire complaisantes sur Poutine et sa politique expansionniste !
Remarquable, rigoureux et subtil.
Merci infiniment pour cette appréciation! Le bullshit (ou foutaise) est a priori un sujet éloigné de la philosophie. Du moins, les philosophes essayent-ils de bullshiter le moins possible. C’est en tout cas ma ligne directrice et j’espère y réussir.