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Insuffisamment préparés, mal équipés, inexpérimentés, les jeunes conscrits russes déferlent par vagues dans la bataille du Donbass. Beaucoup tombent promptement sous le feu adverse. Les soldats ukrainiens les nomment les « zombies ». Effroyable quolibet…

Par définition, les zombies sont des morts vivants. Les deux termes juxtaposés forment une contradiction, source de perplexité et d’une certaine fascination. Peut-on réellement être mort et vivant simultanément ? Cette interrogation renvoie à l’un des sujets les plus passionnants de la philosophie : La relation entre le corps et l’esprit. On lève pour vous un coin du voile qui l’entoure…

Les zombies affectionnent la terre Haïtienne, imprégnée de croyances et rites vaudou. Dans ce pays marqué par l’esclavage, le zombie désigne un vivant revenu de la mort. Plus exactement, le zombie est un malheureux ayant fait l’objet d’un sort ou d’un empoisonnement, déclaré mort, enterré, puis mystérieusement ramené à la vie. Problème : son passage outre-tombe l’a dépouillé de son esprit, et il n’est plus qu’une enveloppe vide à l’apparence humaine. Les sorciers haïtiens connaissent-ils Descartes ? Pas sûr, mais ils partagent avec lui, cette croyance intuitive et naïve, que l’esprit est distinct et séparable du corps.

Sont-ils parmi nous ?

Parmi les philosophes contemporains, le dualisme de Descartes n’a plus vraiment cours sous sa forme radicale. Pourtant, les zombies alimentent gaiement leurs expériences de pensée. Imaginez. Un individu se présente dans un corps bien portant, se conduit comme vous, vaque à ses occupations, est peut-être votre meilleur copain, mais est dénué de toute forme de conscience. Il ne connaît ni la sensation de douce chaleur d’un rayon de soleil sur sa peau, ni l’odeur rassurante du pain qui cuit, et encore moins le frisson de l’amour. Il est capable d’analyser les signaux en provenance du monde qui l’entoure, mais ces signaux ne provoquent en lui rien d’autre qu’une réponse appropriée. C’est un corps inhabité. D’éminents philosophes, tels que David Chalmers, Daniel Dennett et autres, se disputent âprement sur la possibilité métaphysique de l’existence de tels êtres, avec pour enjeu le rapport du corps à l’esprit. Car la possibilité que des êtres en tous points identiques à nous, mais privés de conscience, existent, implique que l’esprit ne peut pas se réduire au corps matériel. Autrement dit, l’esprit est plus qu’un simple réseau de neurones.

Mais qu’en est-il de nos jeunes recrues russes ? Originaires d’ethnies défavorisées, envoyés en masse sur le front ukrainien, ils ne sont des zombies ni au sens Haïtien, ni au sens philosophique du terme. Mais leur sacrifice inutile et absurde est la preuve que des hommes dénués de toute conscience existent bien. Ils se terrent dans des bunkers, analysent des chiffres, donnent des ordres, mais derrière leur visage de cire, pas d’émotions, pas de sensations, pas joie ni de douleur. Tout juste un logiciel qui n’en finit pas de boguer.

Isabelle Schönbächler

Isabelle Schönbächler est diplômée en Physique et Philosophie. Dans ses chroniques, elle mêle actualité et concepts philosophiques.

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