Le jeune Nahel est mort, et la France s’est de nouveau embrasée. Violences, pillages, incendies et exactions. Des images terribles défilent sur les écrans, suscitant effroi, stupeur, et consternation. De quoi s’interroger sur les causes et les raisons d’un tel déchaînement.
Il est naturel de se questionner sur l’origine d’un évènement dramatique, dans la mesure où les réponses trouvées permettent, peut-être, d’éviter sa répétition. Lors d’un accident aéronautique, par exemple, une enquête est diligentée afin de faire la lumière sur « ce qui s’est passé ». Plus précisément, il s’agit de déterminer les « causes » et les « raisons » de la catastrophe. Mais quelle distinction fait-on entre ces deux termes ? C’est là l’objet de cette chronique.
Commençons par un exemple. Une rafale de vent brise un vieux chêne qui se trouvait sur son passage. On constate alors que le tronc du vieil arbre était pourri de l’intérieur. La cause de la rupture du chêne est la rafale de vent, mais la raison en est le pourrissement du bois. Explication.
La cause et la raison de tout évènement ont un point commun qui les réunit : Un évènement ne se produit pas sans cause ou sans raison. Dans l’exemple de notre chêne, et toutes choses étant égales par ailleurs, si le vent ne s’était pas levé, ou si le bois du tronc avait été sain, le vieil arbre ne se serait pas cassé.
Par ailleurs, la cause et la raison se différencient subtilement par au moins deux aspects.
À la recherche des raisons
La cause d’un évènement B, ou effet, est un autre évènement A qui produit B. La cause répond ainsi à une question précise concernant l’occurrence d’un effet : « Quel évènement A a produit l’effet B » ? La cause a ceci de particulier qu’elle précède toujours l’effet dans le temps. Dans le cas du chêne, la rafale de vent est bien antécédente à la fracture du tronc, l’effet, et ceci se vérifie de toute cause.
La raison, elle, ne relève pas de la même question que la cause. Elle est une réponse à l’interrogation « Pourquoi un tel évènement B s’est-il produit » ? Ici, l’adverbe « pourquoi » introduit une demande de sens, de rationalisation de l’évènement. La réponse à ce « pourquoi » ne prend pas la forme d’un évènement mais d’un état, c’est-à-dire d’une chose qui « est » mais qui ne se « produit » pas. Dans l’exemple du chêne, l’état du tronc est la raison de sa rupture. De plus, alors que la cause précède strictement l’effet, la raison existe avant et peut subsister après : Le tronc du chêne était pourri avant la rafale de vent, et l’est resté après. La rafale de vent, elle, est passée et a cessé d’exister.
Pour en revenir aux émeutes secouant la France depuis le 27 juin, il ne fait pas de doute que la mort du jeune Nahel est la cause de ces troubles. Les raisons, elles, semblent profondes, complexes, et ancrées dans le temps : Des banlieues sous tension, une confiance réduite dans les institutions étatiques, des parents démissionnaires… Bref, des raisons appelées à durer et qui conduiront à la même explosion de violence si une nouvelle cause se présente.
Bonjour Isabelle! À la lecture de votre texte concis mais passionnant, une question me turlupine: est-ce que la raison pour laquelle un évènement se produit est toujours un état? Comment analyser le cas où les moteurs défectueux d’un avion n’auraient pas été contrôlés avant un vol et que par conséquent ceux-ci explosent en vol?
Merci beaucoup pour vos chroniques qui me poussent à m’interroger!
Pierre
Bonjour Pierre, et merci pour votre question. Elle est en effet très pertinente.
Pour ce qui est de la cause, il ne fait pas de doute qu’il s’agit d’un évènement, et qu’il est antécédent à la conséquence. Le concept de « raison » demande un peu plus de réflexion. Dans ma chronique, je développe ce concept de « raison » dans le contexte d’un accident, d’une catastrophe, d’un évènement dramatique. Mais ce concept de raison existe également dans le contexte d’une action. En règle générale, un humain n’agit pas sans raison. Imaginons que Paul enfile un pull-over. Il s’agit d’une action, et je peux me demander « pourquoi » Paul agit de la sorte. Il se trouve que Paul a froid et il s’agit bien d’un état. Ceci se confirme pour toutes les raisons pour lesquelles nous agissons. Il se peut que Jacques ait frappé Paul au visage et que Paul le frappe en retour. La raison du geste de Paul n’est pas le coup de Jacques (il s’agit de la cause), mais la colère de Paul.
De là, le parallèle avec les catastrophes. Elles ont une cause sous la forme d’un évènement, mais la raison est bien un état. Dans le cas de l’accident d’avion, vous dites qu’un contrôle n’a pas été fait sur le moteur. La cause de l’accident est sans aucun doute possible l’explosion du moteur, mais la raison en est son mauvais état. Si le contrôle avait été effectué, les micro-fissures ou autres défauts auraient sans doute été détectés et réparés. Mais en finalité, si l’on se demande « pourquoi » l’accident a eu lieu, la raison est le mauvais état du moteur.