Les cérémonies du D-Day, 80 ans après le débarquement, ont réuni les grands de ce monde, dans le souvenir indéfectible de la lutte pour la liberté. Ému, le président Macron a remis la légion d’honneur à trois vétérans d’Omaha Beach. Zoom sur le concept d’honneur.
Le terme sonne vaguement suranné. Il nous renvoie à nos classiques, Corneille, Madame de La Fayette. L’espace d’un instant, on se remémore Gérard Philippe, incarnant Rodrigue, contraint de venger l’honneur bafoué de son père, souffleté par le propre père de sa promise. Un tel affront se règle en duel, à mort.
Mais quelle est cette chose si précieuse, au nom de laquelle tant de crimes ou d’exploits sont commis, et dont la perte provoque un effondrement personnel ? Le philosophe Arthur Schopenhauer a enquêté sur la question et nous livre une analyse plutôt critique. Dans son essai « Aphorismes sur la sagesse dans la vie », qu’il qualifie lui-même de traité de la vie heureuse, il pose une hiérarchie des biens de la vie humaine : Ce qu’on est, ce qu’on a, ce qu’on représente.
Sans surprise, « ce qu’on est » demeure, à tout âge, et sans distinction, la source vraie et la seule permanente du bonheur, selon Schopenhauer. Concernant « ce qu’on a », la fortune ne semble indispensable qu’au bonheur des bien-nés. Les autres savent parfaitement qu’il est possible de s’en passer.
Tout en bas de l’échelle des biens, se situe « ce qu’on représente » aux yeux des autres. Schopenhauer n’a que mépris pour cette catégorie de biens. Les hommes accordent, selon lui, une importance démesurée à l’opinion d’autrui. Que de colère, soucis, efforts, dépensés dans le seul but de susciter quelque jugement positif… Tout cela est folie !
Honneur à l’honneur
Pour Schopenhauer, l’honneur s’inscrit dans cette poursuite de l’approbation d’autrui, quoiqu’avec une certaine subtilité : L’honneur est, objectivement, l’opinion qu’ont les autres de notre valeur, et subjectivement, la crainte que nous inspire cette opinion. Et d’ajouter : En cette dernière qualité, il a souvent une action très salutaire, quoique nullement fondée en morale pure, sur l’homme d’honneur.
Autrement dit, la peur de l’opinion d’autrui peut motiver l’homme à se comporter sagement, quand bien même sa conduite n’est pas directement dictée par la morale. Kant désapprouverait certainement, mais le résultat est là : L’honneur agit comme un rempart à l’encontre de notre inconduite.
Reste que Schopenhauer a sans doute manqué un point dans son appréciation de l’honneur : Si l’honneur est la représentation que les autres nous renvoient de « ce qu’on est », il est aussi l’image que nous nous faisons, nous-mêmes, de notre propre personne. Nous sommes nous-mêmes le tribunal de nos actions, et notre honneur ne se loge pas seulement dans le jugement d’autrui, mais également au cœur de notre conscience personnelle.
Qu’ils aient été volontaires ou conscrits, motivés ou résignés, les soldats allié engagés dans le D-Day peuvent supporter résolument le regard d’autrui, et par-dessus tout, le leur.