Tout ce que la France compte de célébrités, de personnalités influentes, d’observateurs autorisés, d’animateurs en quête de scandale, tout ce beau monde se déchire autour de l’affaire Depardieu. Que faire de ce monstre sacré ? Le défendre ou le lyncher ? Aïe…
Disons-le tout de suite, cette chronique ne porte pas sur les faits reprochés à Gérard Depardieu. Des accusations ont été portées, et la justice des hommes tranchera.
Une question plus essentielle est au cœur du présent propos. Entre le soutien d’un président de la république à « l’immense acteur », « fierté de la France », et le déchaînement des collectifs féministes à l’encontre de ce même comédien, une petite voix cherche à se faire entendre : Il faudrait « distinguer l’homme de l’artiste ». Qu’entend-on par-là ? Comment opérer une telle séparation ?
Une première approche consiste à poser un jugement différencié entre l’homme et son œuvre. Il semble possible, en effet, de porter un jugement moral négatif sur un homme, et un jugement évaluatif positif sur son art. On peut, par exemple, blâmer l’écrivain Céline pour ses opinions antisémites, mais considérer que son livre, « Voyage au bout de la nuit » est un chef-d’œuvre de la littérature française. Relevons que cet exercice a des limites. Si Hitler avait peint d’honorables paysages, il est probable que ses agissements auraient jeté une ombre indélébile sur ses tableaux. Hormis de tels cas extrêmes, la séparation entre l’homme et son œuvre paraît envisageable.
La cloison entre l’homme et l’artiste
Mais une autre interprétation de la distinction entre l’homme et l’artiste est possible : Il s’agirait de porter un jugement moral négatif sur l’homme et un jugement critique mélioratif sur l’artiste. Par exemple, Céline serait un homme abject, mais un écrivain extraordinaire. Une telle séparation étanche est soutenable, mais à une condition : L’individu en question doit avoir lui-même posé cette cloison infranchissable entre ce qu’il est en tant qu’humain, et ce qu’il est en tant qu’artiste ou homme de culture.
Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu’un écrivain, un comédien, un musicien ou même un politicien doit absolument éviter toute porosité entre la personne célèbre, et l’homme privé, sous peine de fusionner lui-même ces deux entités, et d’être pris à son propre piège.
Illustration. Céline était antisémite. Il aurait pu ne jamais étaler ses opinions antisémites dans ses écrits et livrer une œuvre exempte de cette empreinte infamante. Il ne l’a pas fait, et pour cette raison, jamais l’écrivain ne sera jugé totalement indépendamment de l’homme. Céline restera un écrivain antisémite.
Symétriquement, un comédien célèbre qui use de son statut de monstre sacré pour agir, dans sa vie d’homme, de façon inappropriée ou criminelle envers les femmes, franchit lui-même la ligne qui sépare l’artiste de l’homme. Plus jamais il ne pourra exiger que l’artiste soit jugé indépendamment de l’homme, car il aura lui-même créé l’amalgame. Son image publique sera alors assurément ternie par celle de l’homme privé.