« Elegance is an attitude », vous connaissez le slogan ? La cérémonie d’investiture de Trump en est une triste illustration. L’indélicatesse, le ressentiment du nouveau président offrent un contraste saisissant avec l’attitude élégante de Joe Biden. Jusqu’au bout.
Il s’appelle Angustina, lieutenant Angustina. Il est jeune, pâle, et porte une fine moustache. Intelligent, cultivé, un brin réservé, Angustina se détache imperceptiblement des autres officiers du fort. Dans son uniforme bleu délavé, il semble étonnamment élégant, quand ses camarades affichent sans éclat la tenue de rigueur.
D’autres que lui s’accrochent à l’idée de quitter ce fort immobile, cette vie sans autre objet que l’attente interminable d’un destin glorieux. Certains saisissent l’occasion quand elle se présente, mais pas Angustina. Pourquoi ? Rien ne le retient, mais rien ne l’attire ailleurs, pas même les palais, les costumes de velours raffinés, et la vie de faste passée qu’on lui devine.
Pour ses amis lieutenants, Angustina est une énigme et peut-être un sujet d’inquiétude. Mais le capitaine Monti, colosse droit dans ses brodequins à clous, s’agace de ce jeune homme trop délicat à son goût. Et il compte bien lui donner une leçon de virilité en ce jour tant attendu d’expédition : Les ennemis se sont montrés au nord, il faut se rendre au plus vite vers cette frontière invisible, quelque part à l’horizon.
Une colonne d’hommes se met en marche. Monti impose une cadence élevée au milieu de ce désert rocheux et escarpé. Angustina le seconde, stoïque dans son manteau de laine et ses bottes étroites qui le font souffrir. L’ascension est éprouvante, et le soleil laisse place à un froid glacial. Monti accélère le pas, mais arrivé au sommet, la nuit est déjà tombée. Il faut bivouaquer. Blême, exténué, pris d’une lassitude étrange, Angustina s’assied, adossé à un rocher. Il ne tente pas de s’abriter du vent et de la neige, il ne sent plus le pincement du froid, ni la douleur qui vient de ses pieds. Il a atteint sa propre frontière. D’un geste machinal, il remet de l’ordre dans les plis de son manteau, et plus rien n’a d’importance.
L’élégance, concept insaisissable…
Eh bien, est-ce cela l’élégance ? Une certaine légèreté face aux épreuves, une façon de ne retenir de la vie que cette écume légère qui glisse entre les doigts, et de n’accorder pas plus de valeur à la gloire, l’échec, le succès ou la mort, qu’au drapé de son manteau ? C’est peut-être une des leçons du « Désert des Tartares » de Dino Buzzati. L’élégance ne se définit pas, ne s’apprend pas, ne se donne pas en spectacle. C’est un scintillement bref au détour d’une phrase, d’un geste, du pli d’un vêtement.
Lundi 20 janvier 2025, debout devant le Capitole, Joe Biden, vêtu d’un pardessus bleu nuit, pâle, fragile, vaincu, pris dans les rafales du vent glacial de l’est américain, ressemblait singulièrement au lieutenant Angustina. Élégant, en somme.