Coupable. Au terme d’un procès fleuve, Cédric Jubillar a été condamné à 30 ans de prison. Pas de corps, pas d’aveu, pas de réponses. Celui qui avait choisi de jouer l’acquittement, a tout perdu. Il n’aura jamais fait illusion dans la posture de l’homme qui « n’a rien fait à Delphine ».
L’aveu est un acte de langage. Il consiste à énoncer une vérité soigneusement cachée, le plus souvent par intérêt personnel. Quand cette vérité dévoile tout un pan de la réalité jusque-là insoupçonné, alors l’aveu détruit des croyances solidement ancrées. Mais quand la réalité avait déjà largement transpiré malgré les efforts pour la dissimuler, alors l’aveu vient confirmer des intuitions largement fondées.
Ainsi, l’aveu est une arme à double tranchant, utile aussi bien en défense qu’en attaque. En tant qu’arme défensive, l’aveu est destiné à recueillir la clémence d’autrui, quand, acculé devant les incohérences, le mis en cause ne peut plus soutenir ses mensonges. Dans cette situation, l’aveu sincère et le repentir valent mieux que la persistance dans une négation contreproductive.
Plus rarement, l’aveu est utilisé comme arme offensive, mais dans ce rôle il est ravageur. Par exemple, un homme marié se sent humilié et trahi par la volonté de sa conjointe de le quitter. Blessé, il lui avoue, dans le seul but de la mortifier à son tour, qu’il l’a toujours trompée. Un tel aveu n’a d’autre but que de fracasser toutes les croyances de sa conjointe, autant dire, toute sa vie.
L’aveu, une défense contre soi-même
Mais l’aveu n’est pas seulement une arme défensive ou offensive contre autrui. Plus profondément, avouer une vérité frappée d’interdit revient à donner à voir ce que l’on est, et à perdre son pouvoir sur autrui. Dans un cours daté de 1981 et intitulé « Mal faire, dire vrai », Michel Foucault affirme :
« L’aveu est un acte verbal par lequel le sujet pose une affirmation sur ce qu’il est, se lie à cette vérité, se place dans un rapport de dépendance à l’égard d’autrui et modifie en même temps le rapport qu’il a à lui-même »
Michel Foucault s’exprime ici dans le cadre judiciaire, où l’auteur d’un crime en fait l’aveu. Avant qu’elle ne soit avouée, la vérité du crime n’appartient qu’à son auteur, et celui-ci est son seul juge. De même que Jean Valjean « se fait son propre tribunal », le criminel porte sur lui-même son propre jugement, potentiellement dévastateur. Avouer son crime lui permet alors de déléguer cette tâche à autrui, rendant à la société son pouvoir de le condamner, et se délivrant ainsi de ce devoir impossible. En libérant le criminel de sa propre conscience, l’aveu devient une arme défensive contre sa propre autodestruction.
Lors de son procès, Mr Jubillar a manifesté un intérêt très limité pour le sort de sa femme, allant jusqu’à évoquer un départ pour le djihad, en pleine nuit et en pyjama… La recherche de vérité sur sa disparition n’était manifestement pas sa priorité. Il est peu probable que cet homme soit porté à s’interroger sur sa propre vérité, c’est à dire à se juger. La cour d’appel ne sera sans doute pas le théâtre d’un aveu.