La Chine et la Russie n’ont pas toujours été bonnes « camarades », loin de là. Hostilité, méfiance et même conflits ont émaillé leur histoire commune. Mais ces deux superpuissances se sont récemment juré une « amitié sans limite ». De quoi s’interroger sur le concept d’amitié.
Si vous êtes une personne avenante, vous avez probablement des amis, des personnes avec qui vous partagez de bons moments, sur qui vous pouvez compter en cas de problème, ou à qui vous vous confiez. Diriez-vous que vous « aimez » vos amis ? Peut-être. Mais alors, comment distinguer l’amitié de l’amour ? Existe-t-il une différence de degré ou de nature entre ces deux formes d’attachement ? Autrement dit, l’amitié est-elle une forme atténuée de l’amour, ou un genre de chose bien distinct ?
En philosophie, les intuitions sont à prendre au sérieux : Un modèle philosophique qui ne rend pas compte de nos intuitions profondes, ou s’en éloigne, présente une certaine fragilité. Dans la présente chronique, deux intuitions fortes guident notre réflexion sur l’amitié.
Pour commencer, le verbe aimer s’entend de deux façons très dissemblables. Notre intuition nous dit qu’aimer ses parents ou aimer le film « Titanic » sont deux choses qui n’ont rien à voir. De fait, dans le premier cas, aimer signifie nourrir un sentiment d’amour, alors que dans le second cas, aimer consiste à former un jugement positif sur une chose. On peut donc aimer dans le sens « éprouver un sentiment » ou aimer dans le sens « avoir une bonne opinion ». Voilà qui est éclairant.
L’amitié, une relation de proximité
D’autre part, nous avons l’intuition que l’amitié entre deux entités morales est possible. On admet, par exemple, que l’amitié franco-allemande est robuste et durable, ce qui suppose au minimum qu’elle est une réalité. L’amitié entre certains partis politiques, est également souvent évoquée, par exemple, entre les différentes sections communistes à travers le monde. Pourtant, une entité morale ne peut « éprouver de sentiment » ni « former un jugement ». L’amitié ne consiste donc pas à « aimer » selon l’un des deux sens du verbe.
Mais alors, qu’est-ce que l’amitié ? L’amitié est une relation de proximité, ni intéressée ni circonstancielle. C’est une relation choisie, non par calcul, mais en raison de valeurs communes. Bien entendu, il n’est pas exclu que deux amis s’aiment, au-delà de la simple relation de proximité, au sens où ils forment un bon jugement l’un de l’autre. Il arrive également que deux amis finissent par ressentir des sentiments d’amour réciproques. L’amitié se double alors d’une bonne opinion ou d’un sentiment, mais sa nature n’en est pas modifiée : Elle reste une relation de proximité.
Revenons à la Chine et à la Russie, ces deux pays qui se proclament amis. Oui, la Chine et la Russie partagent des valeurs communes, par exemple, un mépris certain de la démocratie. Oui, ils se sont récemment rapprochés, mais il est douteux que leur relation soit exempte de calcul, et détachée du contexte actuel. Bref, une relation de pure opportunité qui ne ressemble en rien à de l’amitié.
Merci pour ce texte éclairant, argumenté et nuancé qui résonne fort justement aujourd’hui.
Merci pour votre commentaire. En effet, je crois que le concept d’amitié est assez méconnu. En particulier, parler du « sentiment » d’amitié me semble faux. Le sentiment d’amour existe, bien sûr, mais l’amitié n’est pas du même ordre. La plupart du temps, les amis ne sont que des personnes avec lesquelles on entretient de bonnes relations, et dont on a une bonne opinion (donc, que l’on « aime » au sens de « nourrir un bon jugement »). Certainement, on se soucie également de leur sort. Mais tout cela n’a rien à voir avec un « sentiment ». Merci de me lire, je vous en suis très reconnaissante.