À la mi-mars, le fleuron bancaire Crédit Suisse, s’écroulait après des années chaotiques et le retrait massif de liquidités par ses clients : Une hémorragie due à une crise de confiance sans précédent. Nous décryptons ici le concept de confiance et son rôle dans la disparition de Crédit Suisse.
« L’homme est un loup pour l’homme » écrivait Thomas Hobbes. Voilà un philosophe qui ne plaçait pas une confiance immodérée en ses semblables, et la tentation est forte de lui donner raison. L’histoire est pavée de confiances trahies, à commencer par la plus mémorable d’entre elles, celle que Jésus avait mise en Judas…
Pour définir la confiance, il faut commencer par son antonyme, la méfiance. Les hommes sont naturellement plutôt méfiants à l’égard d’autrui, au moins au premier abord, et bien davantage encore si le comportement de l’autre est « étrange ». Cette méfiance naturelle prend la forme d’une barrière de vigilance disposée entre soi et autrui.
La confiance est justement la négation de la méfiance : Dans une relation de confiance à l’autre, la barrière de vigilance s’abaisse progressivement, jusqu’à, éventuellement, atteindre une valeur nulle. L’autre n’est alors plus considéré comme un « loup » pour soi-même, il perd sa dangerosité, et il devient alors possible de lui « confier » quelque chose de précieux, tel qu’un secret, de l’argent, sa voiture ou ses sentiments.
Relation de confiance ou d’intérêt ?
Il est à noter que la relation de confiance n’a rien d’un « pari » sur l’autre : Dire que l’on prend le « risque de faire confiance » à une personne est un contresens. Explication.
Abaisser sa barrière de vigilance par rapport à autrui peut signifier s’exposer à un danger potentiel. Il peut être rationnel de le faire pour autant qu’un possible gain surpasse ce risque. Par exemple, un pauvre malheureux errant dans le désert, abaissera aisément sa barrière de vigilance vis-à-vis du premier venu lui promettant de le guider vers une oasis, car le danger représenté par l’autre n’est rien en comparaison d’une mort certaine. Il s’agit là d’un comportement purement rationnel.
La confiance ne relève pas de ce calcul d’intérêt. Autrement dit, s’engager dans une relation de confiance avec autrui ne consiste pas à parier que le gain de cet engagement est potentiellement plus élevé que la perte. Au contraire, accorder sa confiance à autrui, c’est avoir la croyance réelle, justifiée ou non, qu’abaisser sa barrière de vigilance ne représente aucun danger pour soi. C’est avoir l’assurance d’être en sécurité dans sa relation à autrui. Le corollaire de ce principe est redoutable : En cas de danger venant de l’autre, la barrière de vigilance se relève, et la confiance est rompue.
Crédit Suisse a fait les frais de ce principe, lui qui a multiplié les signes de comportement risqué, les opérations hasardeuses, et les démonstrations d’amateurisme. Tout cela est incompatible avec la croyance, de la part du client, qu’il se trouve en sécurité dans sa relation bancaire… Et de partir logiquement vers des liaisons moins dangereuses…
Une forte pensée, un texte clair et lucide sur un sujet si contemporain. On aimerait ( égoïstement) un prolongement sur le couple défiance et confiance dans le domaine du politique, des attentes déçues aux promesses non tenues qui font aujourd’hui, dans de nombreux pays, le lit du populisme.
Merci pour cette appréciation. Je prends note de votre demande de prolongement politique sur le couple confiance / défiance. Une chronique en perspective!
Boniour Isabelle! Merci pour cette chronique qui, n’allant pas par quatre chemins, en vaut le détour! Il semblerait que le secteur banquaire repose (du moins dans un sens!) sur des relations de confiance fortes, qui, si cassées, sont fatales aux deux parties…
Merci pour cet instant de réflexion!
En effet, la confiance est une chose avec laquelle on ne peut pas tricher. Tricher, c’est déjà la perdre! Merci pour votre commentaire et à bientôt pour une prochaine chronique.
Bonjour Isabelle, j’apprécie ces chroniques qui apportent un regard décalé sur l’actualité, l’analysent et en extraient des notions intemporelles. Elles nous invitent à revoir nos jugements et à prendre du recul sur nos propres comportements.
De cette dernière chronique, il ressort que la confiance relève d’une croyance plutôt que d’un choix rationnel de calcul de risque. Alors n’est-il pas étonnant de voir comme nous nous laissons guider par des principes irrationnels (et émotionnels) sur des sujets aussi froids que le placement d’argent ?
Merci !
Merci Sophie pour ce commentaire très pertinent!
Pour répondre à cette question, je voudrais préciser que la confiance n’est pas irrationnelle. Elle est en grande partie empirique, dans le sens où elle repose sur des observations, des faits, une certaine compréhension des comportements d’autrui. Lorsqu’une institution comme Crédit Suisse a une renommée internationale, le respect de ses pairs, un passé de bonne gestion et de sérieux, il n’est pas irrationnel de lui confier son argent. En revanche, il serait irrationnel de donner sa confiance à une banque connue pour sa gestion calamiteuse et sa tendance à escroquer ses clients. Tout cela ne signifie pas que l’on ne fait pas d’erreur en matière de confiance. On peut avoir les meilleures raisons de donner sa confiance et faire l’expérience de la déception ou, pire, de la trahison…
Il est parfaitement vrai que le placement d’argent relève d’un froid calcul de risque. Certains sont prêts à prendre de gros risques (en vue de gros gains potentiels), et d’autres jouent la sécurité maximale pour leur argent. Ceux-là ont besoin d’une banque en qui ils ont confiance…