Au début, un simple engagement électoral. À la fin, un psychodrame national, émaillé de manifestations géantes, de concerts de casseroles, et récemment, d’insultes directes à l’adresse du président Macron. La réforme des retraites a déclenché l’ire des Français !
La colère est, avec la joie, la surprise, la tristesse, la peur et le dégoût, l’une des six émotions primaires, lesquelles sont des réactions physiologiques à différentes sortes de situations ou évènements. Les émotions présentent un intérêt pour la survie, dans la mesure où les signaux qu’elles déclenchent fournissent une information brute sur la nature des faits qui nous touchent.
Plus encore, ces signaux motivent notre action dans un sens essentiel à la conservation. Illustration : La tristesse est une réponse à la perte d’une chose ou d’une personne chère, et la joie, une réaction à un évènement attendu de longue date. Sans la tristesse, pourquoi prendre soin de ceux que nous aimons puisque leur perte ne produit rien en nous ? Et sans la joie, pourquoi sacrifier tant de temps et d’énergie à un projet, si sa concrétisation nous laisse indifférents ? Les émotions sont les guides indispensables des comportements humains !
La colère est donc l’un de ces signaux de notre système nerveux autonome, utile à la conservation. Mais à quelle situation, à quel comportement, la colère répond-elle et en quoi est-elle une aide dans nos interactions avec autrui ? La lecture de l’admirable philosophe Simone Weil fournit une réponse lumineuse à cette interrogation. Il y a en chacun de nous, dit-elle, une attente profonde, enfantine, invincible et sacrée à être traité bien plutôt que mal. La véritable injustice, l’injustice qui meurtrit à vif, consiste à trahir cette attente, à blesser, et laisser l’autre face à ce questionnement sans réponse « Pourquoi me fait-on du mal ? ».
La colère en réaction à l’injustice
Cette forme d’injustice subie prend la forme d’une rivière qui enfle lentement jusqu’à sortir de son lit, ou qui entre en crue brusquement après un orage. La colère qui se répand alors agit comme un trop-plein évacuant l’excédent de douleur, mais aussi comme un signal fort envers autrui : « Je n’accepte pas d’être blessé ». Dans ce sens, la colère est un dispositif de protection sain, légitime, nécessaire face à l’injustice d’un mauvais traitement. Infliger le mal, blesser gratuitement l’autre, bafouer son attente à être bien traité, déclenche et doit déclencher la colère de toute personne victime ou témoin de tels agissements.
Dès lors, comment comprendre l’ire des Français ? Sont-ils plus rudoyés que leurs voisins par le pouvoir ? Pas vraiment. La semaine de 35 heures, la qualité et la (presque) gratuité des soins et de l’enseignement supérieur, les allocations en tous genres, font des Français un peuple plutôt gâté. Mais si les Français ne sont pas maltraités, ils ont le sentiment de l’être. Comment cela ? En raison de promesses récurrentes et intenables de protection, de sécurité, et d’exception française, ayant créé dans la population des attentes démesurées, et… forcément déçues. La colère est à la mesure de la déception.
La colère comme réaction primaire à un sentiiment d’injustice… très intéressant et si vrai!
Un grand merci pour ce mot très encourageant. Je m’efforce toujours de viser juste et non pas de façon polémique ou formelle. Ce qualificatif de « vrai » me touche au plus profond!
Puis-je encore demander de quelle « lecture » de Simone Weil vous tirez cette conception de l’injustice?
Il s’agit d’un très court essai intitulé « La personne et le sacré ». C’est un écrit assez peu structuré, plutôt difficile, mais qui débute sur ces considérations absolument lumineuses citées dans ma chronique.
Votre texte est remarquable. Merci pour cette belle citation de Simone Weil. Une réflexion : n’y a-t-il pas aussi une colère du président Macron et de son gouvernement à l’égard d’un peuple qui ne joue pas le jeu d’accepter des « réformes » imposées ? Permettez-moi de conclure avec Spinoza : » L’effort pour faire du mal à celui que nous haïssons s’appelle la Colère ; l’effort pour rendre le mal qui nous a été fait la Vengeance ».
Un grand merci pour votre commentaire! Ma chronique doit tout à Simone Weil en effet, qui m’a éclairée merveilleusement avec cette pensée si simple, si touchante et si juste. À propos de Macron, il y a certainement de la colère, mais peut-être pas au sens de la chronique: On ne peut pas dire qu’il ait été maltraité. Mais je concède qu’il doit être au minimum « déçu » par la réticence au changement des Français. Merci pour cette citation de Spinoza qui fait une distinction entre colère et vengeance. Peut-être une idée de chronique future sur la vengeance…