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Histoire vécue. Émilie, étudiante en arts de 18 ans discute avec Oscar, camarade de volée. « Je vais faire le moulage des seins d’une copine cet après-midi, c’est pour mon projet personnel ». « Sympa comme activité ! Je peux venir t’aider si tu veux (sourire) ? ». « Mais t’as quoi comme problème ? T’as un problème avec ta mère ? T’as besoin de te faire psychanalyser ! Casse-toi ! ». Oscar « se casse », confus, dépité.

En 1987, la sociologue britannique Liz Kelly publiait un article édifiant à la suite d’une enquête sur les violences sexuelles faites aux femmes. Dans « The continuum of sexual violence », la chercheuse analysait les témoignages de 60 femmes volontaires, n’ayant jamais rapporté de faits de violence à la police ou aux services sociaux. Sur l’ensemble des femmes interrogées, 72% relataient des faits d’abus sexuel, 63% des rapports sexuels contraints, 53% de la violence domestique et 50% des viols. Au total, 10 types de violence sexuelle étaient rapportés, concernant entre 93% et 22% des femmes interrogées.

Cet article est statistiquement non pertinent, en raison de la taille de l’échantillon. Toutefois, Liz Kelly en tire une analyse intéressante : Il existe une forme de « continuum » d’un extrême à l’autre de cet éventail de violences sexuelles. Ce continuum, insiste-t-elle, ne doit pas être compris en termes de gradation de la gravité des évènements : Toutes les violences sexuelles sont graves, dit-elle, mais certaines sont plus fréquentes que d’autres.

Ainsi, ce continuum est à interpréter strictement en termes de fréquence des actes. Les violences sexuelles s’étendent des plus banales aux moins courantes, sans former de catégories bien distinctes. Le passage de l’une à l’autre est une affaire de prévalence.

Du continuum au slogan

Par la suite, le concept de continuum de Liz Kelly a été repris et amplifié par les mouvements féministes, notamment dans le slogan « De la blague sexiste, au féminicide ». Ici, sorti de son contexte scientifique, lancé sans discernement à tous les publics, élargi aux blagues sexistes et aux féminicides, le concept de continuum s’est imprimé dans la population de façon largement erronée : Il y aurait une forme de continuité entre un humour « déplacé » et le meurtre d’une femme, en passant par le dénigrement, la manipulation, la violence et le viol. En somme, tous ces actes ne seraient pas de nature fondamentalement différente, mais se distingueraient uniquement par leur degré de violence. Corollaires : Un homme capable d’une blague sur les blondes peut bien aller jusqu’à tuer, et, la tolérance zéro doit s’appliquer dès la première parole polissonne.

Mis entre les mains innocentes de jeunes gens inexpérimentés et en droit de connaître le flirt et les émois amoureux, ce discours militant est délétère. Certaines femmes sont en proie à la violence des hommes. Protégeons-les. Mais laissons encore la liberté aux jeunes générations de s’approcher les uns des autres avec tendresse, curiosité, et peut-être, un peu de cette maladresse qui les rend si touchants…

Isabelle Schönbächler

Isabelle Schönbächler est diplômée en Physique et Philosophie. Dans ses chroniques, elle mêle actualité et concepts philosophiques.

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