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En juin, Macron appelait à ne pas ‘humilier la Russie’, formule comprise comme un appel à ne pas humilier Poutine. Aussitôt, une avalanche de réactions offusquées ou sarcastiques se déversait sur la toile. Les ressorts d’une telle vindicte se logent dans le concept d’humiliation.

Par ‘humiliation’, on entend tout d’abord un sentiment, le sentiment cuisant d’une blessure d’amour propre. Mais par ‘humiliation’, on entend également une situation subie individuellement ou collectivement, et susceptible de conduire à ce sentiment de déshonneur indélébile. Quelles en sont les spécificités ?

Pour commencer, l’humiliation, en tant que situation, met en scène un protagoniste malheureux, dont une faiblesse, un vice, ou une erreur, bref toute chose pour laquelle il conçoit une honte et qu’il cherche à garder secret, est dévoilée contre sa volonté. Mais l’essentiel se situe dans le caractère public de cette mise à nu. Car le sentiment d’humiliation ne naît pas à l’abri des regards, dans un repli intime de la conscience. Non, le sentiment d’humiliation surgit précisément en raison de la présence de spectateurs, témoins plus ou moins bienveillants de l’étalage au grand jour de bassesses inavouées. La plupart du temps, un autre acteur entre en scène dans ce contexte d’humiliation : L’auteur, volontaire ou maladroit, avisé ou candide, de la situation subie par celui sur lequel se braquent tous les regards.

La juste punition

La victime est souvent d’une grande innocence, et l’humiliation se double alors d’injustice. Songeons, par exemple, au pauvre écolier dont le seul crime est de n’avoir pas appris sa leçon, et que le maître tourmente délibérément de ses questions devant la classe entière. Combien d’enfants étourdis ou rêveurs ont enduré ces souffrances !

Mais il arrive que la victime ne soit pas tout à fait exempte de reproches, et l’un d’entre eux change la face de l’humiliation : La victime est arrogante ! Avec l’arrogant, l’humiliation prend soudain tout son sens : Mettre à terre celui qui a cru bon de mépriser les autres, renverser la distribution amère des rôles. Et l’humiliation de se transformer en une juste punition, un châtiment attendu et savouré par tous !

On comprend mieux dès lors, les réactions indignées des autorités ukrainiennes à l’adresse de Macron. Humilier Poutine n’est que justice au regard de sa morgue et du mépris affiché face à un peuple souverain, mais aussi face à son propre peuple. Et tant pis si l’humiliation laisse des plaies qui convoquent la vengeance !

Les réactions sarcastiques relèvent, elles, d’une lecture moins émotionnelle et plus subtile de l’humiliation : Poutine, en homme faible, ne juge son adversaire qu’à l’aune de sa brutalité, et rien ne peut le mortifier autant qu’être surpassé en puissance et en férocité. Comment, dès lors, l’humilier autrement qu’en se montrant encore plus impitoyable que lui dans la lutte armée ? Cette voie-là, Macron est-il prêt à l’emprunter ?

Isabelle Schönbächler

Isabelle Schönbächler est diplômée en Physique et Philosophie. Dans ses chroniques, elle mêle actualité et concepts philosophiques.

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